CHAPITRE XIII
J’étais énormément troublé lorsque je retournai dans ma chambre. Une compagne ! J’allais avoir une compagne ! Je ne serais plus seul dans ce palais vide pendant les heures où Pflat ne s’occupait pas de moi. Ainsi, il avait fini par songer que je me morfondais. C’était aimable de sa part. J’en éprouvais presque de la gratitude…
Cette compagne, sans nul doute, serait une des femmes qui avaient été enlevées avant moi. Ou après moi, car il avait dû y avoir d’autres « kidnappings ».
J’essayai de me l’imaginer. Je la souhaitais blonde, assez mince, avec des mains fines, une voix douce, de grands yeux…
Je dormis mal, cette nuit-là. J’étais impatient.
Le lendemain, Pflat m’appela à l’heure habituelle, c’est-à-dire après le repas de bouillie que je prenais vers le milieu de la journée.
J’entrai dans son cabinet le cœur battant. Je fus déçu. Il était seul dans la pièce.
— Et la compagne dont vous m’avez parlé ? demandai-je.
Il eut un sourire et fit de la main un petit geste.
— Tout à l’heure… Pour le moment, travaillons.
Je suivis assez mal ses explications, ce jour-là. Il s’en aperçut, mais se montra patient. Au bout d’une heure, il me dit :
— Demain, nous passerons à des travaux pratiques, dans mon laboratoire. Je voudrais aussi me livrer à quelques tests sur vous…
Comme j’avais un mouvement d’inquiétude, il reprit :
— Rassurez-vous… Ce ne sera ni douloureux ni dangereux. Quelques vérifications que je veux faire, avant d’entreprendre sur vous un travail plus important encore mais qui ne sera pas, lui non plus, dangereux.
Tout cela – malgré les phrases rassurantes – ne me disait rien qui vaille. Etre transformé en cobaye ne me plaisait pas du tout. Pourtant, Pflat se donnerait-il autant de mal pour m’apprendre des choses difficiles s’il avait réellement de mauvaises intentions ? J’allais le questionner lorsqu’il prononça la phrase rituelle :
— Maintenant, sortez.
— Et cette compagne que… ?
— Sortez.
Je me levai. Je me retournai.
Elle était là, debout devant la porte. Elle attendait, depuis un moment déjà. Elle était blonde, comme je l’avais souhaité. Elle était mince. Elle avait de longues mains fines. Elle avait de grands yeux et la peau rose, très rose. Elle était drapée avec beaucoup d’élégance dans un tissu blanc tout simple qui semblait fait de lin. Mais ce n’était pas une femme… Pas une femme de l’espèce humaine. Je le vis immédiatement. Je le vis à toutes sortes de petits détails. Ses yeux étaient d’une couleur absolument indéfinissable. Les lobes de ses oreilles étaient très longs. La couleur de sa peau, encore qu’agréable, avait je ne sais quoi qui n’appartenait point à l’espèce humaine. Enfin – et c’était là le signe le plus remarquable – elle avait sur ses tempes deux petites antennes grises qui frétillaient doucement. Sur ses traits, je lisais de la fierté et de la peur.
J’étais abasourdi. « Est-ce aussi, me demandai-je, une habitante de cette planète ? » Je ne savais plus que penser. Mais la voix de Pflat me tira de mes méditations.
— Sortez tous les deux, dit-il.
Elle obéit la première. Je la suivis. Elle marchait dans le couloir d’un pas souple. Elle entra dans la pièce où j’avais séjourné à mon arrivée. J’y entrai aussi. Elle se retourna, me regarda. Elle semblait effrayée. Elle prononça quatre ou cinq mots que je ne compris pas. Sa voix était infiniment douce. Elle parlait une langue qui n’était pas celle des Bomors, une langue aux inflexions subtiles. Je vis qu’elle était très belle. Pas humaine, mais humanoïde et très proche par ses structures de notre propre espèce. Plus affinée, peut-être.
J’eus un geste spontané. Je lui tendis la main. Elle parut hésiter. Elle me regarda dans les yeux puis, au bout d’un moment, elle prit ma main et ne la lâcha pas.
Il se passa alors quelque chose d’extraordinaire. Des phrases se formèrent dans mon esprit, des phrases qui n’étaient pas faites de mots, mais que néanmoins je comprenais parfaitement. Et au moyen de ce langage mystérieux, cette femme humanoïde me disait :
« Vous n’êtes pas télépathe, je le vois… Et vous n’êtes pas un habitant de cette planète, je le vois aussi… C’est pourquoi je me suis risquée à vous parler comme je le fais en ce moment… Car je suis télépathe, et ce sont mes pensées que vous captez directement… Mais ne lâchez pas ma main, le courant serait rompu… Je ne vous connais pas encore assez bien pour pouvoir correspondre avec vous à distance… Ainsi, vous êtes prisonnier, vous aussi… »
— Oui, fis-je tout haut.
« Ne parlez pas à haute voix, reprit-elle de la même façon. Il y a peut-être ici des appareils qui enregistreront ce que nous dirons… Contentez-vous de penser… Je vous comprendrai parfaitement… Je m’appelle Mihiss… »
« Je m’appelle Luigi Shraf… J’ai été capturé il y a près de deux mois… »
« J’ai été capturée il y a une dizaine de jours. Je ne suis ici que depuis quarante-huit heures… Je suis très effrayée par ce… cette créature horrible qui m’a interrogée inlassablement… Elle ne sait heureusement pas que je suis télépathe… Elle m’a questionnée à ce sujet, mais je lui ai répondu non… Cela vaut mieux, je crois… »
« Oui, fis-je. Cela vaut certainement mieux… Mais ne pouvez-vous pas lire dans ses pensées comme vous le pouvez dans les miennes ? »
« Non… Pas encore… Il aurait fallu que je lui tienne la main comme je tiens la vôtre… Mais cela viendra peu à peu… Ce que je sais déjà, c’est que ce monstre, si intelligent soit-il, n’est pas télépathe… Venez vous asseoir. Nous serons mieux pour nous entretenir. »
Nous nous sommes assis sur une sorte de sofa. Je tenais toujours sa main dans la mienne. J’en sentais la tiédeur. Par instants, je la sentais frémir. J’étais prodigieusement intéressé par ce qu’elle me disait et par la façon dont elle me le disait. Elle avait des yeux intelligents, pleins de vivacité, et qui changeaient de couleur selon les éclairages. Sa présence, déjà, me réconfortait. J’eus l’impression que ma présence la réconfortait aussi.
« Dites-moi d’où vous venez, fit-elle. Dites-moi tout ce que vous avez appris ici… Depuis dix jours, je vis dans la terreur… »
Je m’efforçai de la rassurer. Je lui parlai de la Terre, de la civilisation dont j’étais issu. Je lui dis que je ne savais réellement que fort peu de choses sur la planète Rrfac où nous étions et sur Pflat et les Bomors dont nous étions les prisonniers. Je lui parlai de mes séances de travail avec l’être translucide. Je lui fis part enfin de l’hypothèse rassurante que j’avais formée, à savoir que les Bomors allaient peut-être solliciter notre concours.
« Possible, fit-elle. Mais je crois que jusqu’à plus ample informé nous devons nous méfier… »